Critique La tempête
Ce jeudi à la Coupole , on donnait Shakespeare
La Tempête, à part les déclamations lyriques des personnages , où se loge le tragique de la pièce ? Dans le titre peut-être , mais ce sera tout , à notre grande joie . D’ailleurs , tout se termine bien : mariage et réconciliation , un peu comme dans un bon film americain , et puis , il y a les méchants et les gentils , comme ça on est tous contents : cher Dominique Pinon , on a adoré vous détester , vous, Caliban , fils de sorcière, le crabe -araignée qu’on imagine volontiers gluant genre progéniture d’Allien qui aurait oublié de grandir , plus souvent à terre que debout et prêt à toutes les compromissions pour vous libérer du joug du bon Prospero , roi déchu mais nouveau colonisateur -oui , nous sommes sur une île et Prospero y héberge ses esclaves, Caliban l’homme poisson et Ariel , son génie des airs déguisé en chanteur pailleté années 80 -.
La Tempête démarre sur un spectaculaire naufrage dont les victimes , Capitaine de bord en premier comme il se doit – assis au premier rang en marinière JP Gaultier- surgissent , non pas de la scène mais de la salle dans une joyeuse cacophonie scandée de » on va tous mourir, au secours ? « par un trio comique enfraisé et gesticulant apportant peu de crédit à la tragédie mais beaucoup à la comédie, bien que la situation soit assez proche de celle des infortunés passagers du Radeau de la Méduse ; et rien n’y fait pour inverser la tendance , pas même l’insistance de Gonzalo , le fidèle conseiller de Prospero , se désolant à grands cris de subir une mort si humide tout en suggérant la pendaison pour l’incapable Capitaine de vaisseau. Dans un premier temps , pas facile de comprendre de quoi il retourne mais Christophe Lidon , ingénieux metteur en scène de cette Tempête rédemptoire ,disposant de davantage d’artifices que Shakespeare en 1612 , nous éclaire sur le positionnement des protagonistes grâce à un plateau tournant figurant l’île où sont enfermés Prospero , sa fille et Caliban l’affreux, une video projetant le naufrage des traitres( le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi que le frère parjure de Prospero, Antonio) , sans compter les effets de lumière superbes de Marie‑Hélène Pinon qui rendent crédible l’aspect dramatique de la scène.
Ou est la force , ou est la puissance ?
Gardons-nous des préjugés car les puissants changent parfois de camps : dans La Tempête , ce sont évidemment les éléments naturels qui dominent largement la situation . Chez les humains , la puissance change de main passant du clan du frère félon à celui de Prospero et de sa fille Miranda par la grâce de la magie . Prospero martyrisé mais Prospero libéré ! La magie , c’est lui ,la tempête, c’est lui ! Le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi que le frère parjure Antonio , sont les victimes méritées du roi légitime , la morale est sauve . Les vilains, dont Caliban le gnome démoniaque ,la brute infernale , sont traîtés comme il se doit – les gentilshommes à fraises sont engloutis par des pieuvres monstrueuses qui ne sont pas sans rappeler les calmars geants de Vingt Milles Lieues Sous les Mers ; et , comme pour insister sur la tendance peu vertueuse des hommes de céder à la tentation, les sirènes d’Ulysse prennent ici la forme d’un immense banquet que n’aurait pas renié Marco Ferreri et sa Grande Bouffe : la chair est faible ! Les gentils amoureux ,( un peu niaiseux quand même ) Miranda et Ferdinand ,sont adoubés par les deux chefs de camps autrefois ennemis , les rois et les frères sont réconciliés , tout est bien qui finit bien, Shakespeare peut quitter la scène en toute sérenité.
Une chute qui fait la part belle au côté ensoleillé de l’humanité – des sentiments nobles comme l’amour, la faculté de pardonner , la volonté de réconciliation, le désir d’apprendre …- après en avoir illustré la noirceur -avidité , cupidité , jalousie , rancœur, manipulation, vile flatterie …La dernière pièce de Shakespeare est pédagogique , elle nous aide à nous faire une idée de ce qu’est ou devrait être l’humanité, nous, en somme ; grâce à la mise en scène de Christophe Lidon , cette tragi-comédie nous est présentée comme une fantaisie à la gaieté bouffonne sans oublier toutefois quelques messages dont nous retiendrons celui-ci à propos de Prospero nous rappelant qu’un esprit éduqué est le meilleur moyen de lutter contre l’obscurantisme et tous les côtés sombres de l’âme humaine : « grâce à la magie que lui confèrent ses livres, il maîtrise les éléments naturels et les esprits ».
On ignore où Shakspeare a puisé le sujet de la Tempête ; il paraît cependant assez certain qu’il l’a emprunté à quelque nouvelle italienne que jusqu’à présent on n’a pu parvenir à retrouver.
source : http://www.baleenfrancais.ch/