Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sarah Biasini comédienne
3 novembre 2017

Critique Paris la Douce

Théâtre : Modi, de Laurent Seksik - Avec Stéphane Guillon, Geneviève Casile, Sarah Biasini, Didier Brice - Théâtre de l'Atelier



Au lendemain de la Grande Guerre, la bohème artistique a quitté Montmartre pour Montparnasse où les nuits sont couleur d'absinthe. Picasso, Soutine, Kisling, Foujita, Max Jacob fréquentent assidument la Coupole où Amadeo Modigliani, dandy provocateur, artiste torturé, brûle la vie par les deux bouts. En 1917, lorsqu'il rencontre Jeanne Hébuterne, jeune étudiante d'un milieu bourgeois qui devient son modèle et sa muse, celui-ci a définitivement abandonné la sculpture pour se consacrer à la peinture. Marqué par les excès, Modi est affaibli par la maladie, rongé par la frustration de ne pas voir son art reconnu. En 1920, Jeanne attend leur second enfant hors mariage. Ce concubinage outrage l'austère Eudoxie, sa mère, qui est désolée de voir sa fille vivre auprès d'un débauché sans le sou. Elle déteste franchement le peintre et lui fait savoir. Elle a toujours l'espoir de convaincre Jeanne de renoncer à cette existence de misère. Ami dévoué, Léopold Zborowski marchand d'art et poète polonais, passe souvent voir le peintre à l'atelier. Alors qu'il tente d'améliorer l'ordinaire du couple, il supporte, tout de bienveillance, les sautes d'humeur de Modi qui lui fait subir railleries et crises de désespoir.




Convoquant les démons de l'artiste dévoré par son oeuvre, Laurent Seksik revient sur les trois dernières années de la vie de Modigliani. Mort à trente-cinq ans de la tuberculose, juste avant que ne vienne la reconnaissance tant attendue, le peintre est persuadé que pour créer il doit souffrir. Démiurge en quête d'absolu, ce trublion de l'art, réfractaire à l'ordre établi, fait alors scandale avec deux séries de nus féminins en 1916 et 1917 qui ne rencontrent pas leur public. Evocation finement amenée que souligne la mise en scène de Didier Long, la pièce s'attache à retranscrire l'esprit d'une époque singulière durant laquelle les artistes ont bouleversé les codes esthétiques pour inventer la modernité. 
Insupportable, violent, colérique, Modi tyrannise son entourage. Sur fond de misère noire, il se laisse aller à ses pires penchants, alcoolisme et misanthropie en tête, sans jamais renoncer à son art, soutenu jusqu'au bout par l'amour fou de Jeanne. Explorant les affres de la création, Laurent Seksik procède par ellipse pour évoquer le peintre, figure iconique de l'artiste maudit. Les épisodes significatifs, comme autant de fines touches, peu à peu retranscrivent la complexité d'un destin tragique, les contradictions et les fragilités d'un homme. La pièce prend fin avant le dénouement le plus dramatique. Deux jours après le décès du peintre, Jeanne, enceinte de neuf mois, s'est défenestrée.


Le tout pourrait être sinistre, si l'humour, la causticité des dialogues, hommage à la personnalité d'ombre et de lumière du peintre, n'emportait les rires. Les échanges acerbes entre la mère de Jeanne et Modi sont particulièrement savoureux. Stéphane Guillon prête ses traits et son phrasé particulier à un Modigliani plein d'esprit aussi exaspérant que touchant, à la fois extravagant, charismatique et tourmenté. Les passes d'arme réjouissantes échangées avec la merveilleuse Geneviève Casile qui interprète Eudoxie, entre acrimonie et sollicitude, sont tout à fait jubilatoires. Les scènes de vitupérations hilarantes dont est victime Léopold Zborowski, incarné par l'impeccable Didier Brice, ne sont pas piquées des hannetons non plus. Dans le rôle d'une Jeanne soumise, reléguée au rôle d'infirmière, Sarah Biasini apparaît beaucoup plus discrète.
Publicité
Commentaires
Publicité